La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.
M. le président Olivier Falorni. La commission d’enquête sur les conditions d’abattage dans les abattoirs français a été créée à la suite de la diffusion de vidéos par l’association L214 sur trois abattoirs. Malheureusement, ce matin, de nouvelles vidéos des abattoirs de Pézenas et du Mercantour ont été rendues publiques. Ces témoignages démontrent la pertinence de nos travaux et la nécessité de présenter des propositions, ce que nous ferons à l’issue des auditions en remettant notre rapport dans la première quinzaine de septembre.
Dans le cadre de nos travaux, nous avons souhaité auditionner les associations de protection animale. Nous en avons déjà entendu quelques-unes. Aujourd’hui, nous recevons des associations signataires, avec notamment l’Œuvre d’assistance aux abattoirs (OABA), l’association L214 et la fondation Brigitte Bardot que nous avons reçues, d’un courrier adressé fin octobre au Premier ministre et au ministre de l’agriculture.
Parmi elles, la Société protectrice des animaux (SPA), association d’utilité publique fondée en 1845, qui œuvre pour la protection de tous les animaux en France et combat toutes les formes de maltraitance animale, ainsi que l’abattage sans étourdissement. Elle est représentée par M. Alain Pittion, docteur vétérinaire, membre du conseil d’administration de la Confédération nationale des SPA de France ;
L’association Droits des animaux, créée en 2004 et dont l’activité principale est de promouvoir l’amélioration de la condition animale et les droits des animaux. M. David Chauvet, qui la représente, est juriste et membre fondateur de l’association ;
La Fondation 30 millions d’amis, créée en 1982 et reconnue d’utilité publique, qui a pour objet de défendre et d’améliorer la condition animale au sein de la société française. Elle est représentée aujourd’hui par M. Arnauld Lhomme, responsable des enquêtes au sein de la Fondation ;
La Fondation assistance aux animaux, fondée en 1930, qui porte secours aux animaux en détresse et promeut le respect de la vie animale partout où elle le juge nécessaire. Mme Anne-Claire Chauvancy, responsable protection animale, la représente ici ;
Enfin, la Fondation droit animal, éthique et sciences, fondée en 1977, qui s’est organisée en un groupe d’études, de réflexion et d’expertise pluridisciplinaires visant à améliorer la condition animale par la transposition juridique des nouveaux acquis scientifiques et des évolutions éthiques, relatifs à la vie des animaux et à leurs relations avec l’homme. M. Jean-Claude Nouët en est le vice-président.
Madame, messieurs, avant de vous céder la parole, je vous rappelle que nos auditions sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
MM. Alain Pittion, David Chauvet, Arnauld Lhomme, Jean-Claude Nouët et Mme Anne-Claire Chauvancy prêtent successivement serment.
M. Alain Pittion, docteur vétérinaire, membre du conseil d’administration de la Confédération nationale des sociétés protectrices des animaux de France (CNSPA). La confédération nationale des sociétés protectrices des animaux de France, dont le siège est situé à Lyon, regroupe 260 associations et compte 450 000 adhérents. Si nos associations sont connues pour la défense des animaux de compagnie, elles n’oublient pas les animaux de rente. Nos adhérents sont de plus en plus sensibilisés à cette question. En outre, nombre de nos refuges sont installés sur des terrains qu’ils partagent souvent avec des abattoirs. Cette proximité accroît la sensibilité à ces activités.
La législation en matière d’abattage est relativement bien faite ; c’est son application qui est en cause. Pour nous, le principal problème réside dans le contrôle. Les autres associations penseront sans doute la même chose.
Je n’évoque pas l’abattage sans étourdissement qui pose un véritable problème.
Je cite un exemple, un peu connexe du sujet de cette audition, pour illustrer le fait que la sensibilité des consommateurs est de plus en plus grande : il fut un temps où les carcasses de lapins étaient vendues sur les étals des boucheries avec la tête – la réglementation sanitaire l’imposait pour éviter la confusion avec les chats. Avec l’évolution des sensibilités, la consommation du lapin avait considérablement diminué, les consommateurs ne supportant plus de voir les lapins avec leur tête. Depuis, la vente du lapin en morceaux a été autorisée, et la consommation a pu repartir. Je pense que les conditions d’abattage jouent un rôle dans la baisse de la consommation du bœuf. Je connais des gens qui ne veulent plus manger de bœuf à cause de tout ce qu’ils ont vu ces derniers temps.
Je reviendrai plus tard dans la discussion sur l’abattage rituel. J’ai eu l’occasion de voir, lors de mes études de vétérinaire et de mon service militaire, des abattages rituels qui ne m’ont pas laissé un très bon souvenir.
M. David Chauvet, juriste, membre fondateur de l’association Droits des animaux. Je vous remercie de me donner la parole sur cette tragique question de la condition des animaux dits de rente. Mon intervention portera sur la vidéosurveillance dans les abattoirs, sans oublier les lieux de déchargement des animaux.
Quelques mots d’abord sur mon positionnement politique concernant la condition animale. Je défends un point de vue à la fois abolitionniste et réformiste. Réformiste, puisque comme les membres de cette commission et comme l’immense majorité des Français, je pense qu’il faut proscrire toute souffrance des animaux ; abolitionniste, car je plaide aussi pour l’abolition du meurtre et de l’esclavage généralisé et institutionnalisé des animaux. C’est bien de cela qu’il est question dès lors que les animaux, eux aussi, ont une volonté, volonté dont nous ne tenons pas compte, que nous méprisons, mais volonté tout de même. Et qu’est-ce que le meurtre sinon l’anéantissement d’une volonté ? Qu’est-ce que l’esclavage sinon l’asservissement d’une volonté ?
Venons-en à la question de la vidéosurveillance. J’avais prévu d’apporter une démonstration juridique de la légalité de la vidéosurveillance mais ce n’est plus très utile puisque des juristes, notamment des représentants de la CNIL, m’ont précédé la semaine dernière.
Lors de cette audition du 22 juin, vous avez pu constater que la vidéosurveillance dans les postes d’abattage n’est pas illégale par principe. Le débat, fort intéressant, a montré que la voie législative devait sans doute être privilégiée pour plusieurs raisons. D’abord, il ne s’agit pas simplement de permettre à l’employeur, qui le plus souvent est le propriétaire des locaux, d’installer un système de vidéosurveillance, mais de le lui imposer. Ensuite, il serait souhaitable de prévenir tout détournement de finalité. Un contrôle doit, de toute façon, être exercé par les services de l’État et pas uniquement par l’employeur – se pose aussi la question d’un contrôle par les associations. Il serait également souhaitable d’étendre le délai de conservation des enregistrements, qui est d’un mois selon les recommandations de la CNIL. Pour ma part, puisqu’il est question de prévenir et de sanctionner le délit pénal de maltraitance, il me semble qu’un délai correspondant à la prescription de ce délit serait mieux indiqué. Enfin, il faut valider le principe d’un contrôle permanent des salariés, quoique ce ne soit pas une nécessité juridique. La CNIL, par une délibération du 3 janvier 2013, a affirmé qu’il est interdit de surveiller en permanence les salariés sur leur lieu de travail, sauf circonstances particulières – elle en donne pour exemple le fait que des employés manipulent de l’argent. Il n’est pas contestable que tuer des animaux relève tout autant d’une circonstance particulière, dès lors que cela peut occasionner une souffrance sanctionnée par le délit de maltraitance. On ne comprendrait pas que le vol de liquidités à la caisse en relève et pas le fait de maltraiter les animaux.
J’insiste sur l’impérieuse nécessité de mettre en place la vidéosurveillance des abattoirs, car si la légalité de cette mesure n’est désormais plus douteuse, il subsiste encore quelques doutes sur son opportunité. Plusieurs intervenants dans de précédentes auditions ont insisté sur le stress que la vidéosurveillance occasionnerait aux salariés quand son efficacité ne serait pas démontrée, en l’absence d’études poussées sur ce point. La vidéosurveillance s’est pourtant développée largement dans le monde du travail sans que l’on ait exigé qu’une telle preuve soit apportée. Pourquoi la vidéosurveillance des abattoirs devrait-elle attendre que son efficacité soit démontrée pour être mise en place ? Quant au stress, dès lors que l’on a prévenu tout détournement de finalité, il me semble assez évident qu’il ne peut concerner un salarié qui n’a rien à se reprocher. Les radars sur les routes peuvent aussi être perçus comme une source de stress, mais surtout par ceux qui ont du mal à respecter les limitations de vitesse.
Pourquoi la vidéosurveillance est-elle absolument nécessaire ? De fait, il est, sinon impossible, du moins très difficile d’obtenir la preuve d’infractions à la législation de protection des animaux sans un contrôle des salariés. Ce contrôle peut être exercé de deux manières : l’inspection et la surveillance. Qu’est ce qui les différencie ? Comme le dit M. Benjamin Dabosville dans L’information du salarié, « contrairement à l’inspection, la surveillance est un mode de contrôle qui s’inscrit nécessairement dans la durée ». De cette différence de durée entre contrôle ponctuel et surveillance constante en résulte une autre, qui justifie de ne pas faire l’économie de la vidéosurveillance des abattoirs : la différence d’attitude du salarié contrôlé. On se doute bien que le salarié, lors d’une inspection, ne se livrera pas à des actes de maltraitance – de même qu’un salarié qui manipule de l’argent n’en détournerait pas sous le nez des inspecteurs. Comme l’a dit très justement M. Jean-Pierre Kiefer de l’association OABA lors de son audition, le 27 avril dernier, « quand bien même un vétérinaire inspecteur serait présent en permanence sur le poste d’abattage, il est en blouse blanche, à visage découvert, au vu et au su de tous ; or, si les caméras cachées de L214 ont pu mettre au jour des pratiques inacceptables, c’est parce que le personnel ne se savait pas surveillé ». Cela montre les limites de l’inspection et justifie pleinement la mise en place de la vidéosurveillance des abattoirs. Monsieur le président, vous ne dites d’ailleurs pas autre chose sur le site lemonde.fr ce matin lorsque vous déclarez, à la suite des nouvelles révélations de L214 : « c’est la limite des contrôles humains : les actes de maltraitance avérés ne vont pas se produire sous nos yeux ». Le fait est que l’abattoir de Pézenas, où des moutons ont eu les yeux crevés, avait fait l’objet d’une visite inopinée le 17 mai dans le cadre de votre commission. Aucun dysfonctionnement n’avait été relevé ce jour-là.
Notons, pour finir, que la vidéosurveillance est demandée par les inspecteurs eux-mêmes. Récemment interrogé sur les pistes à suivre pour améliorer l’inspection, M. Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, a déclaré, sur le site lemonde.fr, que la première piste « est la mise en place de caméras au niveau des postes de saignée dans tous les abattoirs ».
M. Arnauld Lhomme, responsable des enquêtes de la Fondation 30 millions d’amis. Je vous remercie pour votre invitation en espérant que cette commission d’enquête aboutisse à quelque chose.
La Fondation 30 millions d’amis est plutôt connue pour la défense des animaux familiers, mais, malheureusement, de plus en plus, elle intervient sur tous types de problèmes.
Nous avons cosigné la lettre demandant au ministère des explications. Dans le cas, déjà évoqué par mon collègue de la fondation Brigitte Bardot, d’un bovin arrivé un samedi à l’abattoir de Vannes, abattu seulement le lundi, après être resté quarante-huit heures avec l’arrière-train cassé, la décision judiciaire a été rendue vendredi dernier : l’abattoir a été condamné à 800 euros d’amende – pas même la valeur marchande de l’animal ! Comment voulez-vous que la sanction soit dissuasive ? On comprend que l’abattoir n’en ait rien à faire du contrôle de l’État. De nombreux abattoirs ont été contrôlés à la suite de la diffusion des vidéos. Trois fermetures administratives ont été décidées, 50 % des établissements ont eu des petits soucis – quatre-vingt-sept mises en demeure et neuf procès-verbaux ont été établis.
En tant que responsable des enquêtes, je constate que la difficulté tient à la preuve de la maltraitance. Sans témoignage, on ne peut rien faire contre le responsable. Dans le cas que j’ai cité, on a eu la chance que les employés montrent ce qui se passe à l’intérieur de l’abattoir et aient le courage de dénoncer les faits. Sans vidéosurveillance, on restera toujours les mains liées. La Fondation 30 millions d’amis demande que la vidéosurveillance soit rendue obligatoire, mais aussi que les mauvais traitements soient reconnus comme un délit. C’est la moindre des choses. La vidéosurveillance est primordiale, non pas pour faire peur, mais pour que l’employé sache qu’on ne manipule pas une vie n’importe comment.
M. le président Olivier Falorni. Je veux rappeler que nous avons voté, il y a quelques jours, dans le cadre de la loi Sapin 2, un amendement qui fait de la maltraitance sur les animaux en abattoir et lors du transport un délit. Les membres de la commission d’enquête ont soutenu cet amendement qui s’appliquera lorsque la loi sera définitivement votée. On progresse, même si ce n’est pas aussi vite qu’on le souhaiterait. Les actes de maltraitance dans les abattoirs et les transports deviendront demain des délits, et ceux qui dénonceront ces faits délictueux seront dès lors plus protégés.
Mme Anne-Claire Chauvancy, responsable protection animale de la Fondation assistance aux animaux (FAA). La Fondation assistance aux animaux a été créée en 1930 et reconnue d’utilité publique en 1989. Elle est soutenue par près de 70 000 donateurs, compte une centaine de salariés et environ 400 bénévoles, et dispose d’établissements répartis sur toute la France, qui sont aussi bien des refuges que des dispensaires, des maisons de retraite ou des centres d’accueil pour équidés et animaux de ferme.
La fondation intervient quotidiennement sur le terrain, notamment pour procéder à la saisie d’animaux maltraités, en collaboration avec les autorités administratives ou judiciaires. Elle est de plus en plus amenée à prendre en charge des animaux dits de rente – ovins, caprins, volailles, bovins – destinés à la consommation.
Je tiens à souligner que l’acte de la mise à mort des animaux en abattoir est précédé du passage en bouverie, de l’amenée, du déchargement et du transport. En 1974, la législation imposait que les animaux déchargés du camion restent douze heures au moins en stabulation avant d’être abattus afin de les calmer après un transport stressant. Ce temps de repos est tombé en désuétude, au profit de l’idée que les animaux doivent être abattus le plus rapidement possible. Les bouveries ne sont donc plus adaptées si les animaux doivent rester plusieurs heures, voire des jours, comme on l’a vu à l’abattoir de Vannes. Il arrive que les animaux restent des jours sans être nourris et abreuvés, ni pouvoir se coucher. Le rapport de 2011 du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux avait déjà mis en lumière ce problème, qui ne fait l’objet d’aucune sanction. Ce serait déjà une avancée que de prévoir l’obligation de fournir de l’eau et de la nourriture dans toutes les bouveries.
Je souligne également que l’abattage rituel constitue une dérogation à la règle. Or c’est une exception qui est malheureusement presque devenue la règle. Dans le rapport précité de 2011, les enquêteurs ont établi que plus d’un milliard d’animaux avaient été tués en abattoir en France pour la consommation en 2010. Alors que la demande en viande halal ou casher devrait correspondre à environ 10 % des abattages totaux, le volume d’abattage rituel est estimé à 40 % pour les bovins et 60 % pour les ovins. On en déduit une surproduction de viande halal. Toujours selon ce rapport, les professionnels interrogés ont indiqué préférer l’abattage rituel pour des questions de cadence et pour la possibilité qu’il offre de pratiquer une commercialisation d’opportunité. En d’autres termes, le temps, c’est de l’argent. Il est plus pratique de faire l’impasse sur l’étourdissement. C’est plus rapide et plus rentable puisque les animaux tués peuvent partir aussi bien dans le circuit conventionnel que dans le circuit rituel.
Faute d’information, le consommateur se retrouve à consommer, à son insu, un animal abattu de manière rituelle. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons revenir sur la proposition d’étiquetage de la viande. Le consommateur serait ainsi libre de choisir, en toute connaissance de cause, son produit. Le rapport de 2011 indiquait déjà que « la protection des animaux au moment de leur abattage est une question d’intérêt public qui influe sur l’attitude des consommateurs ». Si le consommateur n’est pas informé, il ne peut pas exprimer ses choix dans ses achats. L’étiquetage limiterait de facto la surproduction de viandes issues d’abattage rituel.
En outre, nous sommes favorables soit à l’interdiction de l’abattage sans étourdissement, soit au recours à l’étourdissement réversible.
Les différents rapports, notamment de l’Office alimentaire et vétérinaire de l’Union européenne (OAV), et les vidéos diffusées mettent en lumière trois sources de dysfonctionnement.
On note d’abord un défaut de formation. Les opérateurs ne sont pas formés, ils ne savent pas s’occuper des animaux ni les tuer correctement.
Ensuite, on observe un défaut de contrôle. L’absence de sanction favorise la généralisation de mauvaises pratiques. Nous sommes favorables à l’installation de la vidéosurveillance, d’une part, pour responsabiliser les opérateurs, d’autre part, pour identifier les mauvaises pratiques et pouvoir les utiliser comme contre-exemples dans le cadre de la formation.
Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, lors du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale d’avril 2016, a reconnu qu’il n’avait pas les moyens financiers nécessaires pour augmenter les effectifs de contrôle dans les abattoirs. La fondation lui a proposé, dans un courrier que je vous remettrai, de mettre à disposition du ministère de l’agriculture un certain nombre de salariés qu’elle prendrait en charge financièrement, afin de veiller au bon respect de la législation et de limiter les souffrances des animaux en abattoirs. Conscients de la réticence des abattoirs à accueillir dans leurs murs des militants de la protection animale, nous proposons que ces salariés soient choisis par les autorités compétentes et placés sous leur autorité.
Nous soutenons aussi la création d’un comité d’éthique qui garantirait une plus grande indépendance des référents bien-être animal et une remontée efficace des informations.
Enfin, on constate de nombreux dysfonctionnements de matériel qui mènent à des scènes d’horreur. On voit ainsi des animaux électrocutés à plusieurs reprises sans perdre conscience et d’autres avec la gorge cisaillée parce que le couteau est mal aiguisé. Ces problèmes ne sont pas compliqués à résoudre. En cas de dysfonctionnement, la chaîne d’abattage doit être interrompue jusqu’à réparation, et les manquements doivent être sanctionnés.
Avec l’OABA, nous plaidons pour l’habilitation de représentants d’associations spécialisées aux fins de visites inopinées des abattoirs. Aujourd’hui, les associations de protection animale sont exclues de ces lieux.
Enfin, vous l’avez rappelé, la maltraitance animale doit devenir un délit.
M. Jean-Claude Nouët, professeur, vice-président de la Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA). Je remercie la commission de s’intéresser à ce problème cruel.
La fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA) souffre d’un manque de notoriété, car elle ne mène pas d’actions de terrain. Elle travaille pour préparer des textes législatifs et proposer des amendements.
La LFDA a été fondée en 1977 par le Prix Nobel Alfred Kastler, Philippe Diolé, écrivain-explorateur, Rémi Chauvin, professeur d’éthologie à la Sorbonne, et moi-même, professeur à la faculté de médecine. Nous avons rassemblé des personnalités scientifiques, juridiques, philosophiques, littéraires, pour mettre nos compétences au service de la cause animale.
En 1978, la LFDA a été corédactrice de la déclaration universelle des droits de l’animal, proclamée solennellement à l’UNESCO, dont l’article 3-2 dispose : « si la mise à mort d’un animal est nécessaire, elle doit être instantanée, indolore et non génératrice d’angoisse ».
En 1985, la LFDA a obtenu le premier règlement européen imposant l’étiquetage du mode d’élevage des poules sur les boîtes d’œufs, puis la modification du code civil distinguant l’animal des objets et des corps inertes dans la loi du 6 janvier 1999, ainsi que la répression par le code pénal des sévices sexuels sur les animaux dans la loi du 9 mars 2004. En 2005, Mme Suzanne Antoine, administrateur de la LFDA et ancienne magistrate à la cour d’appel de Paris, a été chargée par le garde des sceaux Dominique Perben de préparer un rapport sur le régime juridique de l’animal ; ce rapport a été publié à la Documentation française, et s’il n’a pas eu de suites immédiates, ses propositions de modification du code civil ont inspiré directement les initiatives ultérieures, parlementaires comme associatives.
Sous les présidences successives de Rémi Chauvin, Alfred Kastler, Etienne Wolff de l’Académie française, Albert Brunois membre de l’Institut, moi-même, et, depuis 2012, Louis Schweitzer, commissaire général à l’investissement, la LFDA a publié plusieurs ouvrages dont, en 1981, Le grand massacre, première analyse critique de l’élevage industriel. Elle a organisé onze colloques à l’Institut de France, au Collège de France, à l’Université Pierre et Marie Curie, dont les deux derniers, « La souffrance animale, de la science au droit » en 2012, à l’Organisation mondiale de la santé animale, et « Le bien-être animal de la science au droit », à l’UNESCO, en 2015, ont connu un retentissement international. En 2010, en changeant notre intitulé en Fondation droit animal, éthique et sciences, nous avons voulu souligner notre ligne d’action constante : faire progresser le droit en se fondant à la fois sur les avancées des connaissances scientifiques sur les animaux, quels qu’ils soient, et sur l’évolution de la sensibilité éthique de nos sociétés à leur égard.
La fondation a toujours considéré l’élevage comme un sujet primordial. Il faut savoir que, dans le comptage des animaux impliqués, l’abattage se classe à la première place, avec 100 millions d’animaux annuels, devant la chasse, 30 millions d’animaux, et l’expérimentation, 2 millions. Ces chiffres nous montrent les trois grands sujets dont nous devons nous occuper, au premier rang desquels l’élevage, et nécessairement l’abattage, puisque l’un ne va pas sans l’autre.
Que demandons-nous ?
Tout d’abord, l’étourdissement systématique avant tout abattage. L’absence d’étourdissement est contradictoire avec les prescriptions générales du règlement européen. Les dérogations qui la permettent ne respectent en rien le caractère sensible de l’animal à qui ne sont épargnées ni douleur, ni souffrance, ni angoisse. Elles sont accordées à plus de la moitié des abattoirs en France, et rendent impossible pour le consommateur un choix en toute connaissance de cause. À défaut de suppression des dérogations, nous demandons, lors d’un abattage sans étourdissement préalable, que soit pratiqué au moins un étourdissement post-jugulation immédiat.
Les images des abattoirs d’Alès, du Vigan et de Mauléon, et celles aujourd’hui même, de Pézenas et du Mercantour, montrent des actes de maltraitance et de cruauté inadmissibles. On peut se demander si le personnel est véritablement conscient des peines qu’il encourt. Nous demandons que de véritables mesures dissuasives soient mises en place ; cela doit passer par un durcissement des peines. Monsieur le président, vous avez fait allusion à l’amendement qui a été adopté dans le projet de loi Sapin 2, c’est une excellente chose. Nous demandons que les mesures dissuasives aillent au-delà. Les peines en cas d’acte de cruauté sont inférieures à celles prévues en cas de vol – deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende contre trois ans et 45 000 euros. Or il est infiniment plus grave, du point de vue moral, de torturer un animal que de le voler. Des peines alourdies seraient certainement plus dissuasives.
L’article L. 1132-3-3 du code du travail prévoit une protection du salarié d’abattoir devenu lanceur d’alerte. Cette protection lui permet ainsi de ne pas se retrouver en situation de conflit d’intérêt. Le salarié doit connaître ces dispositions et les manquements graves à la loi qu’il peut constater afin de pouvoir agir. Ces points doivent être notifiés dans les contrats de travail et lors des formations, mais aussi affichés au sein des abattoirs.
Les formations dispensées au personnel opérateur comme au responsable protection animale sont insuffisantes. Elles restent théoriques. Comment garantir qu’une formation généraliste, souvent réduite à une journée au lieu des deux prévues, passée autour d’une table, puisse permettre au personnel d’effectuer les bons gestes ? Un volet pratique doit être mis en place, ce qui induit un allongement du temps de formation.
Le taux de réussite à l’examen, comme cela a été rappelé par le ministre, est de 99 % – on n’a jamais vu ça, c’est tout à fait exceptionnel. En outre, lors de l’examen, l’accès à internet est autorisé, ce qui facilite les réponses, et le système de notation est fixé par instruction ministérielle. Par ailleurs, une partie du personnel d’abattoir ne parle pas couramment le français. Enfin, l’examen se passe dans la foulée de la formation ; c’est le meilleur moyen pour que les connaissances ne soient pas mémorisées Pour ces raisons, il semble difficile d’affirmer que la formation et son évaluation suffisent pour former correctement le personnel.
Par ailleurs, la France est le quatrième pays pour l’abattage d’équins en Europe ; il est regrettable que ces animaux soient traités comme les bovins, dont ils sont pourtant différents d’un point de vue morphologique et comportemental.
Un responsable protection animale devrait être présent dans tous les abattoirs, alors que le règlement européen fixe un seuil minimal pour exiger cette présence. Il doit pouvoir y jouer un rôle central. En interaction avec le personnel placé sous sa responsabilité et en lien avec la direction, ses missions doivent être précisées ; il doit être doté d’un statut particulier lui garantissant de disposer du temps nécessaire à la réalisation de ses missions. Par exemple, nous demandons que le responsable protection animale soit chargé de mettre en place une formation continue permettant au personnel de concrétiser les connaissances acquises lors de sa formation initiale dans le cadre de l’abattoir pour lequel il travaille.
Le matériel devrait être amélioré. En outre, certaines pratiques, parce qu’elles ne garantissent pas un véritable étourdissement et parce qu’elles sont sources de souffrance, douleur et angoisse, doivent être remises en cause : étourdissement par gazage au CO2 des porcs, électronarcose des ovins, bain électrique chez les volailles. Afin que l’animal ne soit pas saigné en étant conscient, la vérification de la perte de conscience doit être systématique. Les modes opératoires et les signes de réapparition de la conscience devraient être connus et affichés.
Enfin, la LFDA encourage les responsables d’abattoir à mettre en place un système d’enregistrement vidéo, lequel, s’il peut décourager les actes de malveillance, peut principalement être un outil de formation continue, permettant de montrer en quoi tel geste est incorrect, et d’enseigner le geste approprié.
M. le président Olivier Falorni. Je souhaite vous poser une question très générale : la maltraitance animale est-elle, selon vous, consubstantielle à un abattoir ? En d’autres termes, si le contrôle était renforcé, les sanctions alourdies, la formation améliorée et les équipements modernisés, pourrait-on éviter la maltraitance animale, ou pensez-vous que, par définition, un animal est maltraité dans un abattoir ?
M. Jean-Claude Nouët. Certainement pas. La maltraitance n’est pas consubstantielle. On peut parfaitement, grâce à des efforts sur tous les plans, espérer que la maltraitance n’advienne plus. Le même problème s’est posé en matière d’expérimentation animale, où l’expérimentateur était associé à un horrible individu qui torture l’animal. Or ce n’est pas du tout la réalité ; cela l’a été par ignorance de la sensibilité animale à la douleur et à la souffrance – comme d’ailleurs pour les enfants jusque dans les années soixante. Dès lors que des règles sont établies, il n’y a aucune raison que des actes de malveillance soient commis à condition que celles-ci soient suivies dans tous les domaines.
Mme Anne-Claire Chauvancy. Je rejoins les propos du professeur Nouët. La mise à mort est toujours un acte très dur, mais il est possible de limiter au maximum les souffrances, les angoisses, les peurs, et le stress des animaux en abattoir avant et lors de la mise à mort. L’abattage peut se faire sans mauvais traitements ; c’est parfois le cas dans les « bons » abattoirs. Lorsque le matériel fonctionne, que les opérateurs sont formés et que des contrôles sont effectués, cela se passe mieux.
M. Jean-Claude Nouët. Si vous posez la question, monsieur le président, c’est que vous connaissez la réponse.
M. le président Olivier Falorni. C’est une question très candide.
M. Jean-Claude Nouët. C’est une réponse de bon sens.
M. le président Olivier Falorni. Cela va mieux en le disant.
M. Arnauld Lhomme. C’est difficile de répondre. Le problème vient parfois du personnel – certains commettent ces actes de cruauté par plaisir, par sadisme. Mais on sera toujours dans un abattoir. Il est difficile de donner la mort sans que l’animal le sente. Les animaux sentent ce qui se passe devant eux, c’est pour cette raison qu’on essaie de faire en sorte qu’ils ne soient pas témoins. Aujourd’hui, il est difficile de dire qu’il n’y a pas de mauvais traitements dans les abattoirs. Et au vu des enquêtes que j’ai menées, je considère que, selon la manière dont elle est donnée, la mort peut-être synonyme de maltraitance.
M. David Chauvet. Si on met de côté la question de la mise à mort des animaux et qu’on se concentre sur la souffrance, nous sommes tous d’accord pour admettre que l’acte de tuer un animal est un acte d’une extrême violence. M. Michel Le Goff, membre de la Fédération nationale agroalimentaire et forestière de la Confédération générale du travail, l’a dit ici même le 26 mai.
On entend beaucoup de gens dire que la souffrance des animaux ne pourrait être effacée dans le processus qui conduit à la viande. Martial Albar, qui a travaillé comme inspecteur vétérinaire dans les abattoirs pendant douze ans, fait cette remarque assez glaçante : « En 2016, en France, on est incapable de tuer les animaux sans les faire souffrir ». La question mériterait une étude approfondie.
En ne se donnant pas les moyens d’appliquer la législation qui est censée prévenir les actes de maltraitance, on fait l’aveu qu’on accepte un système qui fait souffrir les animaux. Il faut saluer la création du délit de maltraitance, mais si l’on s’en tient à la loi sans avoir les moyens de l’appliquer, on reste au milieu du gué. En même temps qu’on s’interroge sur les peines et qu’on cherche à les homogénéiser – dans le code rural, la maltraitance concernait les élevages, pas les abattoirs et le transport –, il faut donner les moyens de mettre en œuvre ces sanctions.
M. Alain Pittion. Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Il faut insister sur le contrôle et le matériel. Deux remarques en la matière : alors qu’un deuxième matador, matériel utilisé pour l’étourdissement des bovins, doit obligatoirement pouvoir remplacer le premier en cas de dysfonctionnement, il n’est pas toujours présent ; l’inspection ante mortem faite par des vétérinaires, pourrait être étendue à la prévention des mauvais traitements.
Mme Sylviane Alaux. Je vous remercie, monsieur Nouët, de nous avoir rappelé des chiffres que nous ignorons ou que nous ne voulons tout simplement pas connaître. Il nous faut, de temps en temps, avoir le courage de nous mettre à face ces réalités.
Vous avez évoqué le fait que certains salariés ne parlent pas français. Cela sous-entend-il qu’on fait de plus en plus appel dans les abattoirs à des personnels étrangers qui n’auraient pas de formation – ou qui, du moins, seraient encore moins formés que les autres – et qui, pour certains, ne seraient pas déclarés ? Ai-je l’esprit tordu ou est-ce une réalité qui s’impose de plus en plus à nous ?
Madame Chauvancy, vous parlez de mettre à disposition des salariés qui seraient pris en charge financièrement. Je suis surprise d’une telle proposition de la part d’une fondation. L’argent de vos donateurs suffit-il à prendre de tels engagements financiers ? Quelles garanties pouvez-vous apporter ? Quels fonds « secrets » vous permettent de faire une telle proposition ?
Mme Anne-Claire Chauvancy. C’est une proposition que nous avons envisagée du fait de l’urgence à régler le problème posé dans les abattoirs. À notre sens, sans effectifs humains, ce problème ne sera pas convenablement ou immédiatement réglé. Or, chaque jour qui passe, des animaux sont abattus dans des conditions inacceptables. Nous estimons que cela relève du rôle de la fondation Assistance aux animaux qui a statutairement la mission de lutter contre la souffrance animale. Cela étant, cette proposition n’est pas aboutie pour l’instant. C’est un point sur lequel nous devrions discuter avec le ministère de l’agriculture, les représentants des abattoirs, les associations de protection animale et toutes les personnes concernées. La fondation a les ressources nécessaires pour financer un certain nombre de salariés pendant une période d’un an, éventuellement renouvelable. Tout dépend évidemment du montant des salaires, du nombre de salariés et du type de contrats. La fondation pourrait financièrement assumer cette charge, sous réserve que ces salariés aient pour mission de veiller à la protection animale dans les abattoirs.
Mme Sylviane Alaux. Avec quel argent ?
Mme Anne-Claire Chauvancy. La fondation Assistance aux animaux a un patrimoine et des réserves lui permettant de subvenir aux besoins des établissements pour pallier d’éventuelles difficultés économiques. Une partie de nos réserves pourrait être utilisée dans ce but.
M. Jean-Claude Nouët. Vous m’avez demandé qui étaient les salariés ne parlant pas français. Ce n’est pas moi qui lance les appels d’offre. Si l’information sur laquelle nous nous sommes fondés est exacte, ce sont des gens qui cherchent un travail sans en connaître du tout les conditions et les difficultés. Et il se trouve que parmi ceux qui cherchent un travail en France, certains ne parlent pas français. Je ne sais pas quelle langue ils parlent ni de quel pays, de l’Est ou du Sud, ils viennent. Mais cela pose un gros problème, car si on ne parle pas français, à quoi sert la formation ? On reste assis autour de la table et c’est tout. Il y a un très gros effort à faire quant aux modalités, à la durée et au contenu de ces formations ainsi que sur la valeur qu’il faut leur accorder et sur le contrôle de l’acquisition des notions qui y sont dispensées. D’ailleurs, on se moque un peu du résultat : quand on se contente de dire qu’il y a 99 % de résultats, c’est qu’on ne connaît pas la question.
Monsieur le président, je reviens sur votre question de tout à l’heure : les actes de malveillance à l’égard des animaux ne sont pas consubstantiels à l’abattoir, ils sont consubstantiels à la nature humaine. Quoi qu’on fasse, il y aura toujours des assassins et des voleurs. C’est inéluctable. Quand ils se trouvent dans un abattoir, c’est dramatique.
M. le président Olivier Falorni. Certes, mais ce n’était pas le sens de ma question. Malheureusement, on sait que les choses sont ainsi, en abattoir comme dans la société. C’est d’ailleurs pourquoi, bien que des policiers et des gendarmes soient présents dans la rue, la société a jugé utile de compléter cette surveillance humaine par de la vidéosurveillance dans quelques endroits. Sans vouloir faire de comparaisons, on voit bien que partout, à l’Assemblée nationale comme dans les abattoirs, il y a des gens qui sont en dehors de la loi. Ma question était de savoir si l’abattoir est forcément un lieu de maltraitance. Il va de soi qu’il y aura toujours des gens malveillants. L’important aujourd’hui est de pouvoir les voir, les arrêter et les sanctionner.
M. Jean-Claude Nouët. L’abattoir peut ne pas être un lieu de malveillance si on fait le nécessaire.
M. Hervé Pellois. Vos exposés ont été de nature très différente. Même certains parmi vous doivent, après l’exposé de M. Chauvet, se sentir des meurtriers. À l’entendre, on a l’impression que comme l’euthanasie est interdite en France, quand on a été vétérinaire et qu’on a euthanasié des animaux, on est un meurtrier potentiel.
Je voudrais m’intéresser plus particulièrement à l’étourdissement, et ma question s’adresse plutôt au professeur Nouët. Compte tenu des nombreuses réflexions qu’il a pu mener, peut-être est-il capable de nous apporter plus d’éléments sur la vérification de la perte de conscience avant saignée. A-t-on les moyens, à l’échelle d’un abattoir, de faire ce travail de manière sûre à 100 % ? Beaucoup des choses qui ont été dites ont trait à cet aspect, et s’il en est beaucoup question lors de chaque audition, nous restons quand même toujours dans le flou. Nous n’avons pas l’impression qu’il existe un diagnostic permettant de savoir si le processus peut continuer ou pas. Pourtant, tous les intervenants que nous avons entendus se sont dits préoccupés par la souffrance et les actes de cruauté qui sont dénoncés dans les vidéos diffusées.
M. Jean-Claude Nouët. Ce qui est intéressant, c’est de rechercher des signes, non pas de perte de conscience, mais de reprise de la conscience. Nous travaillons avec des collaborateurs qui appartiennent à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), des ingénieurs agronomes et des personnes qui ont de l’expérience en ce domaine. Il ne me semble pas qu’il existe un document qui, espèce par espèce, énumère avec précision les signes de reconnaissance de l’inconscience et les signes les plus faciles à déceler de reprise de la conscience. C’est une question extrêmement importante, à tel point que nous avons suggéré que les signes de reprise de conscience ou d’inconscience soient en permanence sous les yeux des opérateurs. Je ne sais même pas si on leur en parle en formation, car je n’en ai pas vu les programmes. Il serait intéressant que les signes les plus patents, qui permettent un diagnostic rapide – car la chaîne n’attend pas –, soient clairement identifiés et affichés sous les yeux de l’opérateur qui va prendre en charge l’animal immédiatement après l’égorgement. Car l’animal peut être égorgé sans être forcément totalement inconscient. Lorsqu’il y a égorgement sans étourdissement préalable, la perte de conscience n’est pas immédiate : elle dure jusqu’à une demi-minute, quelquefois plus. Il a même été cité des cas d’attente de plus de dix minutes avant que la perte de conscience ne survienne par hémorragie. Or une chaîne ne s’arrêtera pas même si l’on sait qu’un animal mettra dix minutes à perdre conscience. Et il est absolument certain – et monstrueux – que des animaux entrent dans la chaîne de déshabillage alors qu’ils ne sont pas totalement inconscients. Il ne me semble pas que nous disposions d’une liste claire à mettre sous les yeux des opérateurs de façon à ce qu’ils puissent l’utiliser facilement. Je suis désolé de ne pas répondre avec précision à votre question.
M. Alain Pittion. La perte de conscience peut très facilement être vue et suivie sur un animal seul. Le problème est de pouvoir le faire dans une chaîne. Techniquement, on est tout à fait capable de voir si un animal est encore conscient ou pas. Le problème, c’est qu’il faut aller vite.
M. Jean-Claude Nouët. Il y a plusieurs signes à identifier, ce qui prend du temps, et la chaîne n’attend pas.
M. Jean-Luc Bleunven. Vous avez évoqué le fait que le consommateur ne pouvait pas choisir sa viande en connaissance de cause. Des expériences visant à l’informer quant à la qualité des conditions d’abattage d’un animal ont-elles été tentées ? Avez-vous des initiatives à proposer sur cette question ? Cela permettrait de faire évoluer la situation, dans la mesure où le choix des consommateurs induirait en amont des options différentes.
M. Jean-Claude Nouët. Les demandes d’étiquetage des viandes spécifiant le mode d’abattage des animaux ont été rejetées au motif que cela risquait d’être discriminatoire. Notre fondation a donc proposé un étiquetage, destiné au consommateur, certifiant que l’animal a été abattu après étourdissement. Certains veulent voir préserver leur liberté de conscience, très clairement mentionnée à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais cette même liberté peut susciter chez d’autres la volonté de consommer de la viande venant d’un animal qui n’a nullement souffert, c’est-à-dire qui a été abattu après étourdissement. Il me semble que ce type d’étiquetage positif, et non pas négatif, satisferait à la fois le consommateur désireux d’acheter cette viande et celui qui, pour des raisons religieuses, ne le ferait pas. C’est une proposition que nous avons faite au ministère de l’agriculture.
Mme Anne-Claire Chauvancy. Nombre de nos donateurs veulent savoir comment l’animal qui a donné la viande qu’ils achètent a été tué et s’il a souffert ou pas. Nous avons donc déjà observé à notre échelle une forte demande. Ce constat a également été établi dans le rapport de 2011 sur la protection animale en abattoir, qui relève que « la protection des animaux au moment de leur abattage est une question d’intérêt public qui influe sur l’attitude des consommateurs » et aussi qu’« on ne peut pas nier que la souffrance animale cohabite mal avec le consommateur ». La place de l’animal grandit dans notre société de même que l’intérêt du citoyen à l’égard de celui-ci. Le consommateur n’a pas envie de se nourrir d’animaux qui ont souffert. Nous en avons l’exemple avec l’étiquetage des œufs, de zéro à trois. Une fois que cet étiquetage a été mis en place, on a observé une nette augmentation de la consommation d’œufs qui n’avaient pas été pondus par des poules élevées en batterie. La demande sociétale étant forte, il importe d’y répondre.
M. Jean-Claude Nouët. C’est bien pourquoi nous avons agi dès 1984 au niveau européen. En 1985, nous avons obtenu le premier règlement sur l’étiquetage du mode d’élevage des poules, pour permettre au consommateur de ne pas acheter d’œufs pondus par des poules détenues en cage. Cela a très bien fonctionné.
M. Alain Pittion. Pour les consommateurs, l’abattage avec étourdissement – ou plutôt après insensibilisation – représente une garantie sanitaire supplémentaire. Désormais, dans l’esprit de beaucoup d’entre eux, l’abattage dit « rituel » présente des risques pour la santé, en plus de poser un problème de souffrance animale. Il est peut-être plus facile d’insister sur cet aspect sanitaire que sur la souffrance qui, rappelant l’abattage rituel, a des connotations religieuses. Je ne donnerai pas les détails de ce qui peut se passer lorsqu’un animal est égorgé sans avoir été insensibilisé et qu’il se vide par l’avant et l’arrière, en se débattant. Un consommateur achète des fruits bio, non pas parce qu’ils n’ont pas souffert, mais parce qu’on leur suppose une meilleure qualité sanitaire.
M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Je vous demanderai quelques précisions en matière de contrôle. Des alertes ont été lancées et des statistiques de dysfonctionnement remontent jusqu’à nous. Cela veut dire que le niveau de bien-être animal n’est pas satisfaisant dans les abattoirs. Peut-on en déduire, alors que ce sont des lieux très contrôlés sur le plan sanitaire, que le bien-être animal y reste secondaire aujourd’hui ? Faudrait-il organiser un contrôle spécifique du bien-être animal et non seulement un contrôle sanitaire ?
Il ressort de vos propos que le contrôle doit poursuivre un double objectif de surveillance, permettant éventuellement de sanctionner un acte délictueux, mais aussi de perfectionnement ou d’apprentissage du juste geste qui, dans un passé encore récent, se faisait grâce à un contrôle des pairs, à mesure que les cas particuliers survenaient. Ce n’est pas lorsque tout va bien mais lorsqu’il y a difficulté que la connaissance et l’expérience apportent du secours. Pensez-vous que la vidéo soit plutôt un outil de surveillance ou de perfectionnement ? Comme vous, je mets de côté la question de savoir qui doit avoir accès aux images – État ou comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – et quel doit être leur traitement juridique. Cette vidéo doit-elle nécessairement être activée en continu ou bien seulement être installée de façon continue et déclenchée de façon stochastique, les salariés étant informés qu’ils peuvent être contrôlés à tout moment ? Car regarder toutes les images tout le temps est aussi prégnant en termes de personnel que si un inspecteur était là en permanence.
Je suis très surpris des problèmes de matériel. J’ai l’impression que dans beaucoup de cas, les abattoirs sont encore, sinon dans le bricolage, du moins dans l’expérimentation. Le matériel ne devrait-il pas faire l’objet de davantage de certifications et d’expertise, notamment en matière de contention et d’amenée ?
Enfin, s’agissant du contrôle des installations mêmes, ne pensez-vous pas qu’on a tendance à laisser les bouveries en l’état au motif qu’il serait compliqué de les changer ? Même si l’on se concentre éthiquement sur la mise à mort, le temps passé et les souffrances possibles sont quand même de plus longue durée entre le moment où l’animal est débarqué et son arrivée au poste de mise à mort. J’ai le sentiment que c’est à cet endroit que le problème est le plus grave, car le reste dure heureusement peu de temps – même si cela reste toujours trop long en cas de souffrances. Ne pourrait-on faire un effort de certification, de contrôle et d’aide à la conception ? Comment expliquer que du matériel ne fonctionne pas alors qu’il n’a que cinq ans d’âge ?
M. David Chauvet. Le constat que vous dressez de ces multiples carences s’explique par l’état très insatisfaisant du matériel. La protection animale dans les abattoirs est entièrement à faire. Finalement, sans les images révélées par l’association L214, les Français ne se poseraient pas la question et les choses continueraient comme actuellement.
Les aspects préventif et répressif de la vidéosurveillance ne s’opposent pas du tout. On peut parfaitement utiliser des images pour aider à la formation et, dans le même temps, pour sanctionner un délit de maltraitance qui, encore une fois, n’a aucun intérêt si sa reconnaissance n’est pas assortie de moyens permettant de le réprimer.
On a beaucoup évoqué la question de savoir si la vidéosurveillance était légale et juridiquement recevable. Il faudrait aussi se poser la question de savoir si l’absence d’information des associations ne serait pas en elle-même illégale. Ces dernières ont une mission d’information et de protection judiciaire des animaux, conformément au code de procédure pénale. Or, du fait de l’opacité qui règne dans les abattoirs, les associations n’ont strictement aucun moyen de mener à bien leur mission, si ce n’est en révélant des vidéos clandestines. Pourtant, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que la liberté d’expression recouvre tant la liberté d’informer que celle d’être informé. Un arrêt Guseva contre Bulgarie du 17 février 2015 a d’ailleurs posé le principe pour la question animale. Il est quasiment une obligation juridique que les associations puissent avoir accès à ce qui se passe dans les abattoirs pour pouvoir assurer leur mission d’information et de protection judiciaire des animaux.
M. Arnauld Lhomme. Deux veaux seront toujours différents, que ce soit en termes de morphologie, de poids ou autre. Lorsqu’un animal se retrouve devant un box rotatif et qu’il n’est pas bloqué, il peut se retourner et ne sera pas immobilisé, ce qui pose un gros problème. Je pense que l’animal devrait être étourdi et abattu au sol et ne devrait même pas se retrouver dans un tel box. Combien d’accidents se sont produits à cause de ces box ? Y mettre les animaux est complètement illogique : moi-même, je suis petit et gros et une autre personne du même âge que moi sera grande et de morphologie différente.
En matière de vidéosurveillance, je reviendrai sur le procès dont je vous parlais tout à l’heure s’agissant d’un animal arrivé le samedi avec l’arrière train cassé et abattu seulement le lundi. Il est peut-être difficile de faire de la vidéosurveillance 24 heures sur 24, mais il y a, dans beaucoup d’agences de sécurité, des gens qui passent leur vie devant des écrans. C’est même le cas de certaines polices municipales. On peut donc placer un opérateur devant un écran en permanence pour avoir une sécurité visuelle : en cas de problème, on pourra appeler le vétérinaire de sorte que l’animal ne soit pas mis sur la chaîne d’abattage mais qu’il soit abattu dans la cour ou ailleurs. Normalement, lorsqu’il y a abattage d’urgence, l’animal passe en priorité. Or, en l’espèce, l’animal n’a été abattu que quarante-huit heures plus tard.
La fondation 30 millions d’amis n’est pas pour la répression mais pour que les méthodes changent et pour trouver des solutions, comme vous tous. On parle d’abattoir pour les visons mais ces animaux ne passent pas en abattoir : c’est l’éleveur qui les abat lui-même. J’ai lancé, il n’y a pas longtemps, une procédure contre un éleveur de Besançon dont je tairai le nom : vous ne pouvez même pas imaginer comment il procède. Même les animaux morts servent à nourrir les autres. Il a été condamné pour ce qui est aussi considéré comme un système d’abattage, mais il a recommencé. La notion d’abattoir est très générale.
Mme Anne-Claire Chauvancy. Que le contrôle ne s’effectue pas du vivant de l’animal mais plutôt après sa mort, nous ne pouvons qu’être d’accord avec ce constat. En principe, un vétérinaire doit contrôler les animaux avant l’abattage et au moment de celui-ci ; or on ne le voit pas sur les vidéos. Il est probablement ailleurs ou peut-être n’est-il pas là par manque d’effectifs. La mise à mort est quand même un instant plus sensible que la découpe de l’animal. La vidéo permettrait de pallier cette absence. Elle est aussi un formidable outil de formation parce qu’en visualisant les gestes sur images, on les retient mieux qu’en discutant et en lisant une feuille de papier autour d’une table. Vous avez aussi parlé de la transmission des connaissances pratiques des anciens : c’est un point que nous évoquons dans un document que nous allons vous remettre. Nous pensons effectivement que la formation théorique devrait être complétée par une formation pratique encadrée par du personnel compétent – c’est-à-dire des personnes ayant déjà de l’expérience dans l’entreprise.
Par ailleurs, David Chauvet parlait de la place des associations en abattoir. Alors qu’un milliard d’animaux sont abattus en abattoir chaque année en France, il n’y a pas d’association de protection animale dans ces structures alors que c’est là que leur présence est nécessaire, et même absolument vitale. Je sais que cela fait peur, mais on ne parle pas de n’importe quelles associations. Ce sont des associations spécialisées, des personnes qui connaissent la législation et le domaine. Il nous paraît essentiel que ces dernières soient habilitées à visiter les abattoirs.
M. le rapporteur. On a, à plusieurs reprises, fait l’analogie avec d’autres installations classées, telles que les centrales nucléaires et les centres de traitement d’ordures ménagères, au sein desquelles sont présentes des commissions locales d’information et de surveillance. Participent à ces dernières des professionnels, des représentants du personnel, l’administration mais aussi des associations de riverains ou des associations spécialisées. Ces commissions servent de sas entre le monde des consommateurs et des citoyens et celui des spécialistes, qui aujourd’hui ne se parlent pas beaucoup, les uns soupçonnant les autres soit de ne pas tout dire, soit de ne pas vouloir être objectifs. Constituer des commissions dans lesquelles on trouverait des représentants d’associations de consommateurs, de riverains et de protection animale et auxquelles on donnerait la possibilité d’échanger régulièrement mais aussi de participer à des visites, prévues ou pas, ne serait-il pas une solution ?
Mme Anne-Claire Chauvancy. Ce serait une voie envisageable qui ne pourrait être que positive, si toutefois cette commission dispose de moyens suffisants pour assurer sa mission.
M. Jean-Claude Nouët. Les contrôles portant spécifiquement sur le bien-être animal n’existent effectivement pas. Des vétérinaires inspecteurs sont présents dans tous les abattoirs, mais ils sont essentiellement occupés à vérifier la qualité des viandes. Leur rôle principal consiste à apposer le coup de tampon final certifiant que telle ou telle carcasse est bonne. En principe, ils devraient aussi s’occuper des postes précédant la mise à mort, mais ils n’ont apparemment pas le temps de tout faire. Le contrôle du bien-être animal n’est pas suffisamment effectué, notamment à la bouverie où les animaux attendent. Il est probable que de nombreuses installations ne facilitent pas la fluidité de la marche. Or les animaux, lorsqu’ils sont un peu empêchés ou gênés, ressentent automatiquement un stress ; et quand un animal est stressé, on le conduit mal jusqu’à l’immobilisation. C’est là un moment de l’abattage qui devrait être largement amélioré.
S’agissant de la vidéo, j’y vois certes un moyen de surveillance des actes, mais surtout un moyen capital d’amélioration de la formation – y compris continue – pouvant être utilisé a posteriori pour montrer ce qui a été mal fait et comment mieux faire.
M. David Chauvet. Je doute très fortement, pour les raisons évoquées tout à l’heure, de l’efficacité des visites, qu’elles soient inopinées ou pas. La question qui se pose réellement est de savoir si les associations doivent avoir un droit d’accès aux vidéos et comment ces dernières pourraient être mises à disposition sans risque qu’elles soient malencontreusement diffusées – sachant que si cela arrivait, la responsabilité de l’association serait engagée et la diffusion devrait aussi être sanctionnée.
La question du contrôle que pourraient exercer les associations se pose dès lors que les fonctionnaires n’ont pas suffisamment d’effectifs pour pouvoir contrôler l’ensemble des enregistrements, même de manière aléatoire. Que l’on filme de manière continue ou ponctuelle, on ne pourra effectivement pas visionner l’ensemble des enregistrements. Mais on peut toujours, sur une large période, observer les abattoirs de manière ponctuelle ou peut-être visionner les vidéos en accéléré. Je ne connais pas vraiment la manière dont on procède habituellement, mais j’imagine que plus on a d’enregistrements, mieux le contrôle peut être exercé. Je serais donc plutôt partisan d’enregistrements en continu – ce qui, comme je le disais tout à l’heure, n’a rien d’illégal – et favorable à la reconnaissance, au profit des associations, d’un droit d’accès à ces enregistrements, dans le cas où l’État ne serait pas en mesure d’assurer un contrôle suffisant.
L’employeur peut exercer un contrôle sur ses employés puisque ces derniers peuvent commettre des gestes malencontreux sans qu’il en soit responsable. Mais sa responsabilité est désormais en cause dans les abattoirs sur le fondement de l’article L. 215-11 du code rural. Un contrôle extérieur doit donc être effectué soit par les fonctionnaires de l’État, soit par les associations, soit par les deux.
M. le rapporteur. Vous dites que les visites, inopinées ou non, n’ont pas beaucoup d’intérêt. Vous savez sans doute qu’historiquement, les abattoirs ont été conçus pour soustraire à la vue du public la mise à mort des animaux. D’après ce que j’ai pu entendre en audition et lors des visites que nous avons faites, j’ai l’impression qu’il en résulte, chez les gens qui travaillent en abattoir, un sentiment de relégation qui finit par justifier le particularisme de leur attitude vis-à-vis de l’extérieur et par légitimer les actes accomplis : « comme on est dans un abattoir, qu’on n’est pas regardé parce qu’on ne veut pas nous voir, cela se passe comme ça. » Briser cette opacité, même par des visites organisées, c’est porter le regard, avec une certaine bienveillance, sur les gens qui travaillent dans ce lieu, et cela les tire du côté de l’amélioration plutôt que de la relégation. Comme il est dit dans le film : « On fait un sale métier mais on a une excuse, on le fait salement ». Je pense que briser le voile pudique que nous avons voulu mettre sur notre responsabilité de consommateurs de viande serait un facteur d’amélioration. C’est une opinion plus qu’une question.
M. David Chauvet. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Sortir de l’isolement les employés d’abattoir peut contribuer, à titre préventif, à leur faire prendre conscience de la nécessité de respecter la législation sur la protection des animaux. Tout à l’heure, je parlais plutôt de l’aspect répressif puisqu’on a pu constater que les visites ne permettaient pas le respect de la législation. Mais encore une fois, les volets préventif et répressif ne s’excluent pas ; d’une manière générale, on les associe. L’erreur serait de ne s’en tenir qu’à un seul des deux : l’aspect répressif seul n’empêchera pas les maltraitances s’il n’y a pas de prise de conscience des employés ; l’aspect strictement préventif ne permettrait pas cette prise de conscience non plus.
M. Alain Pittion. Ce sont, pour moi, les contrôles qui sont importants. Comme vous venez de le dire, monsieur le rapporteur, ils peuvent valoriser le personnel qui travaille dans les abattoirs et qui n’est effectivement pas toujours très bien considéré.
Le matériel est un autre point très important. Dans les abattoirs où j’ai eu l’occasion d’aller, j’ai pu constater que le matériel prévu par les textes n’était pas en état. Je pense notamment au pistolet d’étourdissement, le matador, qui doit s’y trouver en deux exemplaires, car si l’on rate le premier coup, le deuxième finira le travail. Le box rotatif, dont M. Lhomme a parlé, serait en effet un point à revoir. J’ai pu voir que, la plupart du temps, il ne fonctionnait pas comme prévu : les veaux arrivaient dans des positions extraordinaires et souffraient énormément. La réglementation n’est pas si mal faite, c’est son application qui pose problème.
S’agissant de l’abattage sans étourdissement, il conviendrait d’insister, vis-à-vis des citoyens et des consommateurs, sur le volet sanitaire. La souffrance animale est une chose, la question sanitaire en est une autre. Je ne parlerai pas de l’abattage sans étourdissement, mais l’abattage avec insensibilisation préalable donne quand même une viande de meilleure qualité et fait courir moins de risques sanitaires au consommateur. Je précise que les religions qui ont mis en avant l’abattage sans insensibilisation ont pris naissance dans des pays chauds où, traditionnellement, un animal ainsi abattu se vidait mieux de son sang et sa viande se conservait mieux. Telle est l’origine de cette pratique. Or, de nos jours, l’animal insensibilisé se vide aussi bien de son sang que l’animal qui ne l’est pas.
M. Arnauld Lhomme. Les associations sont toujours aussi à l’écoute des abattoirs. On peut dire que l’OABA fait un audit des abattoirs. Ses enquêteurs et inspecteurs sont des anciens des services vétérinaires, ils connaissent très bien le problème. Ils vont dans les établissements dire aux personnels ce qui va et ce qui ne va pas. Il y a donc vraiment une relation de confiance entre les associations et les abattoirs, même s’il est vrai que quelques-uns ont fermé leurs portes. Compte tenu de sa connaissance du problème, l’OABA pourrait être reconnue comme pouvant contrôler ce type d’établissement en toute symbiose avec l’État. Quant à l’association de M. Nouët, elle fait partie du Comité d’éthique. Il y a donc des associations qui, étant dans le milieu, peuvent parler des problèmes sans être extrémistes, pour faire avancer les choses. Enfin, peut-être qu’à notre époque, l’abattage sans étourdissement ne devrait plus avoir lieu. Beaucoup de pays d’Europe l’ont interdit, peut-être devrions-nous prendre exemple sur eux.
Mme Anne-Claire Chauvancy. De nombreuses mesures faciles et rapides à mettre en place pourraient résoudre les problèmes soulevés : vidéo, contrôle du matériel, création d’un comité d’éthique, organisation de visites d’associations spécialisées et renforcement des sanctions.
Pour finir, je citerai Clemenceau, selon qui « quand on veut enterrer un problème, on crée une commission ».
M. le président Olivier Falorni. Pour une fois, je suis en désaccord avec lui.
Mme Anne-Claire Chauvancy. J’ai un dossier rempli de rapports sur les abattoirs, et rien n’a été mis en place à la suite de leur publication. Nous espérons donc sincèrement que le vôtre aura une utilité concrète et permettra de faire avancer le débat.
M. le président Olivier Falorni. Clemenceau faisait sans doute référence à des comités Théodule. Nous constituons ici une commission d’enquête parlementaire bénéficiant de certaines prérogatives, dont celle de présenter un rapport dont les conclusions deviendront proposition de loi.
M. Jean-Claude Nouët. Je crois que le président Clemenceau disait également qu’un vrai homme politique s’occupe aussi des animaux.
Ma conclusion sera simple. Il me semble que finalement, c’est une affaire de moyens, car la réglementation existe. Cela se résume à peu de choses : si l’on veut vraiment, on peut. Cela ne me semble pas insurmontable. L’abattoir n’est pas un lieu irrémédiablement voué à la maltraitance. Comme l’énonce la Déclaration universelle des droits de l’animal, si la mise à mort d’un animal est nécessaire, elle doit être instantanée, indolore et non génératrice d’angoisse. C’est parfaitement possible mais il faut le vouloir.
M. le président Olivier Falorni. Je vous remercie pour cette table ronde qui nous a appris beaucoup de choses. J’espère qu’elle vous a permis, à tous, d’exprimer votre point de vue.
La séance est levée à dix-huit heures trente.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français
Réunion du mercredi 29 juin 2016 à 16 h 30
Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Yves Caullet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, Mme Annick Le Loch, M. Hervé Pellois
Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Thierry Lazaro, M. Arnaud Viala